Mr M.

France, Suède, États-Unis, Québec, Paris!


Add to Technorati Favorites

Un week-end sur la route

Ce week-end, je devais normalement emprunter la voiture de l’usine. Malheureusement, elle n’était pas disponible car un employé l’avait réservé sous un quelconque prétexte fallacieux. La vraie raison était surement qu’il voulait aller se promener sans payer son essence. Bon, c’est ce que je voulais faire aussi, mais moi, ce n’est pas pareil.

A mauvaise fortune bon cœur, je changeais mes plans (qui était initialement d’aller à Stockholm) pour quelque chose de plus sportif : faire une journée de vélo et découvrir à la force du mollet le passé ô combien métallurgique de la région.

Un mot tout d’abord de ma monture. Très gracieusement prêtée par mon inénarrable collègue Peter Sjöding, cette bête de course, que dis je ce bolide de compétition, ferais pâlir d’envie n’importe quel Lance Amstrong en herbe, écoutez plutôt : cadre en acier plein permettant d’atteindre un poids optimal de 25 kg (au bas mot !), un pédalier dernier cri enduit d’un mélange de rouille, sable et graisse idéal dans toute les situations, des pneumatiques craquelés et néanmoins sous-gonflés s’adaptant à toutes les aspérités du terrain (un peu trop parfois …), un guidon décentré trop bas permettant de se choper un mal de dos unilatéral au bout de quelques kilomètres, et dernière prouesse technologique et non des moindre une selle ultra dure remplie d’eau glacée permettant un rafraichissement revigorant des fessiers dès les premiers tours de roue. En option, garde-boues, éclairage à la dynamo, porte bagage très pratique et teinte mauve de série.




Mon objectif du jour, partir de Langshyttan, longer les lacs Langen, Bysjön et Halen pour rejoindre Stjärsund puis continuer sur Silvhyttea et revenir par la route sur Langshyttan. Si la phrase qui précède vous semble totalement incompréhensible, voire une complète prouesse linguistique pour votre bouche habituée à la succession de douces voyelles subtilement agencées de notre langue française adorée et non pas aux gutturales imprononcables d’une succession infinis de consonnes, sachez seulement que tout ça c’est pour vous dire que je me suis tapé 30 km de routes, sentiers, chemin à bestiau, pistes défoncées remplies de caillasse et layons sinueux dans la forêt.

Le temps plutôt clément m’invitait à l’optimisme sur ce périple, d’autant plus que la route semblait facile, du moins au début : gros sentier de terre et de gravier relativement plat au bord du lac. Rien de bien difficile pour le cycliste du dimanche que je suis.



De multiples maisons égayaient les abords du lac, petits bijoux serties dans un écrin de verdure à deux pas du ponton où se trouvait amarré le bateau familial. Très Dawson attitude.



A d’autres endroits, de petites criques étaient autant d’invitations au farniente ainsi qu’étrangement au dépôt de tambour de machines à laver … Peut être pour pêcher l’écrevisse, occupation favorite des suédois oiseux le week-end, et plat préféré des autochtones à cette période de l’année.



Je m’arrête quelques instants dans un abri pour randonneurs et kayakistes. Ce qui est incroyable, c’est que tout est prévu : l’abri tout d’abord pouvant accueillir au minimum quatre personnes pour la nuit, le foyer pour faire le feu et asphyxier les moustiques, délicatement délimité par son rond de pierres et pourvu d’une réserve de buches pré-fendues, la grille de barbecue pour faire rôtir la saucisse 50% pur porc acheté au supermarché ICA du coin ainsi que la poubelle pour être plus écologique et le broc d’eau pour être plus pratique le matin pour se laver.

Le fait de se retrouver seul sur son vélo, à parcourir des sentiers inconnus (mais néanmoins balisé, l’aventure fléchée ça a quand même ses avantages comme éviter de se perdre … quoique) favorise la réflexion sur des sujets parfois profonds, souvent pertinents mais en général sans aucune espèce d’intérêt. La première d’entre elles, qui m’est venue aux environs du sixième kilomètre portait sur le nationalisme latent du peuple suédois, jugez plutôt : chaque pâté de maisons et parfois chaque maison arbore les couleurs de la Suède, en général un petit fanion pendu à l’entrée, discrète marque de dévouement à la couronne suédoise (loin de moi la faiblesse de croire que le suédois est proche de son argent) mais parfois la surenchère amène à planter une hampe de 10 mètres de haut dans son jardin pour y faire flotter le bleu et le jaune.



Pour mon esprit français, fils de la révolution populaire de 1789 et de la révolution juvénile et sexuelle de 1968, cette omniprésence des couleurs nationales me renvoyait les images d’autres couleurs omniprésentes en ces temps de troubles mondiaux : le bleu, le blanc et le rouge de la bannière étoilée. Cette obsession bichromatique me poursuivait même lorsque qu’aux détours des lacets de la route, serpentant sur mon auguste destrier de pourpre et de rouille, je tombais inévitablement sur l’un de ces panneaux routiers signalant à l’alerte quidam que continuer tout droit pouvait présenter des conséquences graves pour son intégrité corporelle.



Que dire encore de cette volonté de s’approprier l’ensemble de son territoire et de le marquer, tel un chien incontinent, par une zébrure double de cyan et de jaune dans des endroits aussi incongrus que le milieu virginal d’un lac. Les poissons chanteraient ils eux aussi l’hymne national suédois, chaque matin au saut du lit ?



La route m’emmenait toujours plus profond dans la campagne, toujours plus loin dans la digression intellectuelle. L’allégorie poissonnière précédente reçue un écho particulier lorsque qu’au détour d’un vallon rebondie (me faisant instantanément penser aux formes arrondies d’une fesse féminine, allez savoir pourquoi …) je tombais nez à nez avec de charmants bovins, occupés à brouter nonchalamment l’herbe verte et tendre de leur pré. Ainsi, le suédois possède des vaches.



Tan, Tan, Tan ! Tambours et trompettes ! Tocsins et olifants ! Cornets et Timbales ! Sonnez ! Résonnez ! Car une vérité vient d’être révélée ! Le Suédois ne mange pas que du poisson !

En fait, le Suédois ne mange pas beaucoup de poisson ou alors juste du surgelé. Ca coute cher et ici, au Dalarna, on est loin de la mer. C’est vrai qu’au supermarché, j’avais trouvé très facilement de la viande et ce à un prix tout à fait raisonnable. Encore une idée reçue qui vole en éclat. Faudra que j’arrête de croire à toutes ces balivernes qu’on raconte. C’est comme pour les femmes ici, on dit qu’après 25 ans, elles sont toutes grosses. C’est faux, seule la très grande majorité l’est réellement …

Sur ces entrefaites, j’arrive à la première étape de mon voyage, Stjärnsund, non sans avoir préalablement tâté du chemin jonché de racines d’arbres, très amusant en vélo.

Voici un extrait du dépliant touristique : « Calme et silencieux, se tient sur les berges du lac Grycken Stjärnsund, ‘’l’aciérie blanche’’, sans doute l’aciérie la mieux préservée du Dalarna. Stjärnsund fut fondé par Christopher Pollen ‘’le père de l’ingénierie suédoise’’ (NDT : inventeur d’un système d’horlogerie très répandue dans le coin). En 1700, il fut autorisé à construire une fabrique ‘’d’objets d’utilité générale’’ (sic). ». Bon, en fait la première chose que j’ai vu quand je suis arrivé c’est ça :



Ce n’est pas très engageant, je vous le concède. Néanmoins, le reste du village est charmant avec sa petite église entouré de son cimetière propret. L’église mérite à elle seule des éloges.



Lumineuse, rutilante, possédant des toilettes du nouveau millénaire (distributeur de gobelets, distributeurs de serviettes, accoudoirs amovibles pour handicapés, sonnette d’alarme en cas de malaise du dit handicapé, poubelle miniature, porte documents ainsi que table à langer pliable) et équipés du dernier cri en matière de sonotones (les machins ressemblant à des stéthoscopes sur la photo suivante).



Un calme incroyable y régnait, seulement troublé par le tic tac feutré d’une horloge du dit Christopher Pollen, égrenant les secondes qui semblait s’écouler très lentement en ce lieu intemporel.


Un mot sur le cimetière, et sur les cimetières suédois en général. A l’image de sa vie terrestre, le Suédois aime mourir de façon propre et sobre. De même sa dernière demeure se doit d’être immaculée. Il ne désire donc pour ultime décoration que la verdeur des brins d’herbes ainsi qu’une pierre tombale, noire, parallélépipédique, sans fioriture.



Afin de faciliter l’entretien de sa tombe (comme quoi le Suédois est très prévenant), il aura prévu avec ses petits camarades de construire un petit abri renfermant râteaux, pelles, arrosoir, sachets en tout genre … et ce en libre accès. La Suède semble ainsi avoir atteinte une forme de communisme dans sa pleine acceptation du terme. Dans n’importe quel autre pays (dont la France au premier rang), ce genre de réceptacle aurait été pillé-détruit-tagué dans la semaine suivant sa construction. Mais pas ici. Ici, on est calme et on aime ses voisins (moi j’ai tendance à préférer les voisines mais c’est une histoire de goût).

Digression : Ici, tout les gens s’appellent Andersson, Eriksson, Gustavson, c’est un peu monotone. Heureusement, la Suède compte des trublions et des boute-en-train dans ses rangs qui aiment à se faire appeler de façon originale. Celui-ci par exemple



qui se fait appeler du nom d’une célèbre chanteuse islandaise. Quel marrant tout de même !
(Renseignement pris, björk désigne une espèce d’arbre, du bouleau je crois …)

Je m’en vais me promener dans le « Parc Anglais », vieux jardin à l’anglaise donc, qui mériterait quand même un petit coup de rafraichissement parce qu’il n’est pas vraiment terrible. Je cherche en vain la pierre tombale d’un monsieur prénommé Guy, pierre tombale qui est un peu l’attraction touristique du lieu. Quelques touristes (3 pour être précis) semblent chercher la même chose que moi avec le même succès apparemment.

Il est à noter que si le Suédois prévoit tout et conçoit chaque élément de sa vie de la façon la plus pratique possible, il se pose parfois de faux problèmes. Prenons le cas de cet escalier à grillage, par exemple:



Concept très ingénieux et original, n’aurait-il pas été cependant plus pratique d’aménager une porte, je vous le demande ? On aurait ainsi économisé le prix du mètre de grillage, au dépend de la survie de la succursale locale d’ébénisterie, il est vrai. Le Suédois se laisse donc parfois aller à des raffinements inutiles, faisant éclater toute sa rage artistique et son esprit cabotin dans ces quelques centimètres de bois ouvragé.

Me voici de nouveau en route pour rejoindre Silvhyttea. Sur la route longeant le lac, je surprends de loin quelques naïades en train de prendre un bain. Me rapprochant d’autant plus rapidement que la promesse de gouter au charme de la gueuse locale me semblait une aubaine en ce milieu d’après midi, je pédale à en perdre haleine. Finalement, grosse déception puisque la moyenne d’âge est d’environ 65 ans… Ces efforts m’ayant creusé l’appétit je m’arrête quelques kilomètres plus loin au bord du lac pour prendre un déjeuner que j’ai qualifié à ce moment là de « frugal mais délicieux ». Tout en continuant mon chemin, je m’arrête à un point de vue où il n’y a pas grand-chose à voir puisque l’on se situe dans une cuvette. J’en profite pour annoter le livre d’or qui se trouve à ma disposition.



Le suédois a pris l’habitude de mettre des panneaux d’informations partout, le plus souvent accompagnés d’un de ces petits livres, préservé de la pluie par un sachet en plastique. Et on vous fournie même le crayon ! Je le feuillette rapidement, découvrant au fil des pages que je suis le seul non Suédois à annoter ces pages blanches. On trouve de tout : de la prose, des textes qui semblent être de la poésie en rime, des photos (des gens reviennent donc exprès pour les mettre une fois développées …) et quelques dessins (je trouve d’ailleurs un dessin de phallus très réussi malheureusement masqué par une page blanche collé par-dessus. Ca m’était un peu trop de piquant au goût de certain!). Comme je l’avais fait dans l’église (ils en mettent aussi dans les bâtiments d’importance), je le signe (ça serait marrant que je retombe dessus plus tard).

Quelques kilomètres plus loin, j’arrive à un embranchement qui me laisse fortement perplexe. En effet, à aucun endroit sur ma carte il n’est indiqué que je dois tourner à gauche … finalement, je me rends compte que je me suis complètement tromper de route.



Qu’à cela ne tienne, ce n’est qu’un détour de 5 kilomètres ! Je poursuis donc dans la direction indiquée (tracé en pointillés sur la carte). Oui mais voilà, au lieu de la route relativement propre que je pouvais emprunter de l’autre côté du lac, j’ai droit à un chemin de terre rempli de gravier aux arêtes tranchantes. Je prie pendant 7 kilomètres de ne pas crever, mon pneu arrière présente en effet quelques faiblesses structurelles, fruit des nombreuses années passées dehors, et je n’ai pas de rustines et encore moins de pompe. Ca monte, ca descend, c’est fatiguant. Finalement après quelques péripéties j’arrive enfin à destination mais les derniers kilomètres ont laissés des traces : j’ai les jambes lourdes et raides.

Silvhyttea, c’est joli. Il y a des gens avec de beaux bateaux qui viennent piqueniquer et des ruines d’aciéries qui font penser à un site mégalithique ou aux ruines de Machu Pichu.




Après un petit repos me voilà reparti pour les 12 derniers kilomètres. Les pires. Les 5 premiers kilomètres sont identiques au précédent et je me chope des crampes dans les montées. Je monte avec la plus petite vitesse tellement j’ai de mal à appuyer sur les pédales. J’arrive finalement à la nationale mais … c’est encore de la montée. Je regarde sur la carte pour être sur de ne pas me tromper : je dois faire 5 kilomètres de côte et ensuite ça doit normalement descendre. Je monte, je monte, à bloc, à la limite de la fringale parfois. Je pousse encore et encore. Enfin, le ‘’sommet’’ (je viens de faire une ascension de 43 mètres seulement comme me l’indique malicieusement la carte, ce n’est pas vraiment l’Everest), j’ai les cuisses comme du bois. La descente n’est pas vraiment plus agréable puisque je suis frigorifié, un vent sournois transperçant mes vêtements pour glacer ma transpiration. Je reconnais finalement les faubourgs de Langshyttan où je jette mes dernières forces pour retrouver mon chez moi et m’effondrer dans le canapé du salon.

J’ai un de ces mal de cul …

Pour clore ce très long récit, il me reste à parler de l’impact de l’homme sur la nature, réflexion provoquée par l’observation d’une tribu de fourmi empruntant un pont. Elles n’avaient jamais du voir l’autre côté avant ça et sont surement devenu des prédatrices farouche dévastant l’écosystème de la berge opposé dès la construction de cette passerelle. Du grain à moudre pour les Olivier Baudrand en herbe.

Enfin, je tiens à lancer un concours du panneau indicateur le plus ridicule ou le plus ingénieusement placé. Voici deux exemples de perspicacité respectivement dans le choix de l’emplacement et dans la représentation abstraite de la vie de tous les jours.



1 Responses to “Un week-end sur la route”

  1. # Anonymous Anonyme

    un tres joli recit comme on n'en fait plus par chez nous.. ma préférence va aux reflections sur les fourmis (on sent le gars qui s'adresse aux lecteurs potentiels des fourmis de Bernard Werber..)
    j'aime aussi les photos des panneaux de signalisation.. dur de trouver plus con..
    a quand les photos de chips suedoise (vu que dans chaque post tu as une gentille et pernicieuse pensée pour elles) ?  

Enregistrer un commentaire


Voir le nuage de tags de Mr M.



Flux RSS



Conçu pour
Firefox 2


© 2006 Mr M. | Blogger Templates by GeckoandFly.
No part of the content or the blog may be reproduced without prior written permission ... er, whatever ...